05/06/2012
Migrants : le discours chrétien est-il efficace ?
Malgré leurs efforts, les Églises et les ONG confessionnelles ne parviennent pas à faire reculer la peur de l’étranger auprès du public chrétien.
Depuis des années, catholiques et protestants de France ne cessent de clamer par les canaux les plus officiels que l’accueil de l’étranger est une exigence fondamentale du message chrétien et, plus largement, biblique. Les Églises ont publié des textes sans équivoque, de même que les dirigeants des ONG chrétiennes, dont les équipes sur le terrain se démènent au service des migrants, demandeurs d’asile et sans-papiers.
DES TEXTES POUR SENSIBILISER
Récemment, l’ouvrage Immigration, pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire (1) cosigné par François Soulage, président du Secours catholique, et par la théologienne Geneviève Médevielle, a été un modèle de prise de parole claire et argumentée, de nature à vacciner ses lecteurs contre les idées nauséabondes et les choix politiques qui les portent.
À la veille des législatives, des associations chrétiennes (Secours catholique, CCFD-Terre solidaire, mouvements d’action catholique, Cimade, Mission de France…) en remettent une couche avec une brochure de 16 pages À la rencontre du frère venu d’ailleurs. Ce document – diffusé gratuitement dans ces réseaux – distingue les différents statuts (étrangers légaux, demandeurs d’asile, débouté, sans-papiers…), démonte les préjugés étayant les discours d’exclusion et montre en quoi la migration peut-être une chance.
Lors de sa présentation à la presse, Mgr Renauld de Dinechin, évêque auxiliaire de Paris et en charge pour l’épiscopat de la pastorale des migrants, a rendu hommage aux chrétiens investis auprès des étrangers. « Il s’agit d’abord d’une responsabilité de l’État. Mais les chrétiens n’attendent pas l’État pour se mettre à l’œuvre. »
LE VOTE DES CATHOLIQUES
Tout irait pour le mieux si ce message passait chez les chrétiens. Lors de la récente élection présidentielle, il apparaîtrait que le cumul des voix de catholiques (mais aussi des protestants) en faveur de Marine Le Pen et de Nicolas Sarkozy – dont le ton sur la question des migrants s’est fortement droitisé en fin de campagne (2) – n’ait jamais été aussi élevé, dépassant très largement les 50 % au premier tour.
« Il y a urgence, reconnaît Patrick Peugeot, président de la Cimade. Le Gard, terre protestante, a largement voté pour Mme Le Pen. Des jeunes en difficultés pensent bâtir l’avenir sur des positions xénophobes, ignorant complètement l’Évangile sur ces questions. »
Quand on lui parle d’échec, sur le fond ou la forme, de la réception du discours chrétien sur les migrants, Mgr Renauld De Dinechin reste prudent : « Nous devons faire bouger les lignes. Et ce document y participe. » Pour François Soulage, les responsables chrétiens ont « un travail de pédagogie à faire. Il nous faut armer nos communautés pour affirmer haut et fort des choses et contredire ce qui est faux. Pour les législatives, ne laissons pas nos élus dire n’importe quoi ».
CHOIX DE SOCIÉTÉ SUBJECTIVÉS PAR LES IDÉES REÇUES
Le P. Bernard Podvin, porte-parole de l’épiscopat, tente une explication de la progression du vote de droite chez les catholiques pratiquants. « Il n’existe pas de vote catholique mais des réponses très individuelles. La catholicité, c’est l’universalité et l’incarnation (voir Matthieu 25). Du Christ, nous puisons la source de notre relation au frère. Tant que ceci ne passe pas dans la conviction profonde des croyants, ils garderont des choix de société subjectivés par leurs peurs, leurs corporatismes, leurs idées reçues, leurs conformismes culturels. »
Les évêques n’ont jamais explicitement cautionné le discours des « points non-négociables » (autour de la naissance et de la fin de vie), qui appelait à ne pas voter à gauche. Le P. Podvin rappelle que l’accueil des migrants fait partie des treize éléments de discernement électoral fournis en octobre par l’épiscopat (3), et réactivé pour les législatives. Selon François Soulage, les « droits à la vie doivent être pensés tout au long de celle-ci ». Il reste donc à convaincre bien des chrétiens que les migrants ont droit, eux aussi, à une vie normale sur notre sol.
(1) L’Atelier, 2011, 98 p., 12 €
(2) On pense ici à son volte-face sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, au débat sur l’identité nationale, à la politique du chiffre en matière d’expulsion…
Publié sur le site www.temoignagechretien.fr par Philippe Clanché, le 4 juin 2012
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