Pierre Joxe dénonce une certaine "hypocrisie" dans l'application de la laïcité

A l'occasion des 10 ans de la Fondation du protestantisme, qui, depuis sa création a soutenu et financé près de 70 fondations individualisées ou organismes d'inspiration protestante, l'ancien ministre de l'Intérieur Pierre Joxe a évoqué le problème du financement des lieux de culte, prisonnier d'une conception "hypocrite" de la laïcité.

Pour son 10e anniversaire, la Fondation du Protestantisme avait réuni ce 9 février deux invités prestigieux : son président, Pierre Joxe, ancien ministre de l'Intérieur, et son vice-président, le pasteur Claude Baty, par ailleurs président de la Fédération protestante de France.

Depuis 2001, la Fondation tisse des liens entre les acteurs du monde protestant, conseille et subventionne des projets, sur la base de dons. Pourtant, "loi de laïcité" oblige, son action reste limitée : en effet, elle ne peut aider des lieux de culte à proprement parler. Reconnue d'utilité publique, elle ne finance et n'accompagne, conformément à la loi de 1905, que des lieux à dimension sociale ou socio-cultuelle. Ainsi, si une communauté religieuse a besoin d'un lieu de culte, dont la vocation ne soit "que" cultuelle, la Fondation du protestantisme ne pourra l'aider.

Une limite qui interroge Pierre Joxe : "La loi de 1905 a été établie dans un contexte bien particulier, de défiance à un culte dominant, explique l’ancien Ministre de l’Intérieur, et aujourd'hui, l'application de la loi reste marquée par cette défiance au culte, ce qui peut avoir des conséquences fâcheuses."  Evoquant la situation de l'Islam, Pierre Joxe s'est dit frappé par "l'hypocrisie d'une partie des Français qui étaient moins choqués à l'idée que des musulmans doivent prier dans la rue, espace public par excellence, que par la perspective du financement de lieux de prière".

En effet, a-t-il précisé : "Le catholicisme et le protestantisme ne sont pas les plus concernés par l’application de cette loi. Ces questions de financement du lieu de culte posent particulièrement problème pour l'islam. En effet les religions majoritaires bénéficient le plus souvent de dons de fidèles. En ce qui concerne l'islam, religion minoritaire, ce qui arrive souvent c'est que des investisseurs étrangers veuillent financer les lieux de culte, payer les représentants..." En France, la plupart du temps, les pouvoir publics doivent contourner la loi pour permettre le libre exercice des religions : n’ayant pas le droit de financer des édifices cultuels avec des fonds publics, ils en financent une partie (salle d’exposition, bibliothèque) qui permette de lui donner un caractère culturel ou social. "C’est de l’hypocrisie !" a commenté Pierre Joxe.

En contrepoint, il a cité l’exemple du Royaume-Uni, "où les mentalités sont complètement différentes. Là-bas, d'anciennes églises inutilisées sont transformées en mosquées. "Pour mémoire, au Royaume-Uni, même si la reine est chef de l’Eglise anglicane  les lieux de culte ne sont pas financés par l’Etat mais la culture de la laïcité est différente, avec une attention accrue portée aux questions de liberté religieuse".

Le ministre s’est par ailleurs réjoui que le débat sur la laïcité continue d’être relancé "sans la dramatisation liée au contexte dans lequel la loi de 1905 fut instaurée". Quelques jours plus tôt, le pasteur Claude Baty avait quant à lui jugé l’annonce faite par François Hollande au Bourget "embêtante" car "vague", relevant que le candidat ne faisait référence qu’aux deux premiers articles de la loi, en passant les 44 autres sous silence : "iI ne faut plus confondre laïcité et loi de séparation des Églises et de l'État, souvent présentée comme la 'loi de laïcité' alors même que le mot 'laïcité' ne s'y trouve pas. La confusion laïcité / séparation devient dérive quand certains laissent entendre que la laïcité consiste à séparer la société et les religions, celles-ci étant invitées à se recroqueviller dans la sphère privée".

Article de Marie-Lucile Kubacki, publié le 10/02/2012 sur le site Lavie.fr