02/12/2011
La marche vers la reconnaissance des protestants en Algérie
C’est comme un petit printemps en plein automne. L'Eglise protestante d'Algérie, composée d'autochtones et en forte croissance, a reçu son "certificat de conformité" tant attendu. Interview de Mustapha Krim, président de l'Eglise et pasteur évangélique.
A la surprise générale, l'Etat algérien a procédé à une sorte de « reconnaissance » de votre Eglise en juillet cette année. Qu'est-ce qui change concrètement ?
Nous avons enfin, formellement, le droit d'exister. Avant, nous étions dans une zone grise. Nous bénéficions d’un certificat de conformité pour les 27 communautés protestantes qui forment notre Eglise protestante. Les préfets ne pourront plus exiger de façon arbitraire la fermeture des lieux de culte et nous interdire de pratiquer notre foi sous prétexte que nous ne serions pas une Eglise autorisée. Prenons un exemple : en mai dernier, dans mon département en Petite-Kabylie, sept églises membres avaient soudainement reçu l’ordre de cesser leur activité. Elles étaient accusées d’opérer « illégalement ». Ces arrêts ont été annulés par le wali (préfet). Nous pourrions aussi obtenir plus facilement des autorisations pour construire des lieux de culte.
Quels sont les problèmes qui demeurent ?
Nous manquons cruellement de lieux de culte. Ce problème serait moins important si l'Etat nous permettait d'accéder à tous les locaux, notamment des temples, dont nous sommes propriétaires. Chez moi, à Béjaïa, le vieux temple est squatté par un syndicat. C'est un phénomène fréquent, cautionné par les officiels. Nous avons porté plainte, mais la procédure est très longue.
Décrivez en quelques mots votre Eglise, peu connue en France.
Historiquement, nous sommes issus de l'Eglise réformée, qui a changé de nom en 1974. Le gouvernement avait alors demandé à toutes les Eglises protestantes de se rassembler dans une seule entité. Aujourd’hui, nous sommes une Eglise nationale répartie en différentes communautés. La plus grande a environ 1000 membres. Les plus petites ont environ 200 membres. La plupart sont de tendance évangélique. Elles sont toutes gérées d'une manière collégiale. Au total, il y aurait aujourd'hui environ 30 000 protestants, dont l'immense majorité des nationaux. Les catholiques, eux, seraient 11 000, selon les statistiques officielles.
Faut-il toujours craindre des arrestations pour ceux qui se réunissent à la maison pour prier ensemble ?
Oui. Nous sommes en Algérie, pas en France. La Constitution algérienne stipule à la fois que nous avons droit à la différence religieuse, à la fois que « l'islam est la religion de l'État ». Une loi datant de 2006 prévoit des peines de prison et des amendes à toute personne qui "incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion". Toutes les Eglises dénoncent cette loi, qui ouvre la voie à l’arbitraire. Mais elle est toujours appliquée. Des chrétiens ont été condamnés à des peines de prison, alors qu’elles ne faisaient que prier ou discuter de leur foi avec d’autres Algériens. Certains ont même été condamnés parce qu’ils refusaient de jeûner pendant le ramadan. Un prêtre catholique, Pierre Wallez, a été arrêté en 2008 après avoir réuni des migrants de l'Afrique subsaharienne pour un moment de prière sous un olivier. Il a pris un an de prison avec sursis.
Les protestants évangéliques ont la réputation d’être prosélytes.
Si par prosélytisme on entend le fait de présenter sa foi d'une façon positive, ce qui est notre stricte droit, nous sommes prosélytes et je ne vois pas le problème. D'ailleurs, il faudrait rappeler que les musulmans font beaucoup plus de prosélytisme que les chrétiens. Le vrai problème est que la presse nous accuse de prosélytisme sauvage. L'Etat utilise ces "informations" pour nous interdire, et nous accuse d'être en lien avec des pays étrangers. L'Eglise catholique fait face, elle aussi, à ces accusations. Un peu comme les prêtres et religieux catholiques étrangers, les étrangers qui viennent nous rendre visite ont parfois des difficultés pour obtenir leurs papiers. Dans la presse, on nous a même accusé de payer les musulmans pour qu'ils se convertissent. Je n'ai jamais vu un chrétien agir ainsi. L'idée est absurde ! Nous sommes Algériens et nous respectons les valeurs des musulmans, qui sont nos amis et avec qui nous vivons en paix.
En réalité, l'Etat cherche à freiner l'élan de conversion en Algérie. Je vous donne un exemple : Un jeune de chez nous doit passer devant une Cour d'appel. A cause de la loi de 2006, il avait été condamné en première instance à 5 ans de prison et 20 000 dinars d'amende pour avoir rendu témoignage à un jeune de son quartier. Il lui aurait donné un CD qui contenait des témoignages d'Egyptiens musulmans convertis au christianisme. Un CD !
Le nombre de protestants évangéliques en Algérie explose. Quels sont les facteurs de cette vague de conversion ?
Tout au long du XXe siècle, des missionnaires catholiques et des pasteurs protestants ont témoigné de leur foi en Algérie. Mais il y a eu très peu de conversions. Pourquoi y en a-t-il maintenant ? Pour moi, c'est assez mystérieux. Mais je crois qu'il faut prendre en compte plusieurs facteurs.
D'abord l'évolution de la société algérienne dans son ensemble. Les Algériens ont aujourd'hui soif de démocratie et de liberté. Beaucoup d'entre eux sont favorables au pluralisme politique et religieux.
Dans le passé récent, nous avons traversé dix années de terrorisme, suivies de dix ans de complications dues à cette guerre. L'Algérie a été sous le coup d'un endoctrinement islamiste terrible. Or, pendant cette période les Algériens ont appris à se renseigner sur le monde. A partir de 1995, ils ont eu accès à des nouvelles sources de renseignement grâce à Internet et à la télévision par satellite. Aujourd'hui, la majorité des personnes qui viennent vers nous le font après avoir regardé des émissions sur des chaînes satellites. Une douzaine de chaînes en arabe, un canal en kabyle et un en français annoncent l'Evangile. Même pendant les années de terrorisme, on pouvait suivre un enseignement très populaire d'un prédicateur orthodoxe égyptien qui analysait le Coran sans attaquer l'islam : Boutros Zakaria, un islamologue.
Etes-vous en bons termes avec l'Eglise catholique ?
Il y a encore quelques années, nous avons parfois souffert d'une incompréhension de la part de certains responsables catholiques. Maintenant, nous avons de bonnes conversations avec Mgr Ghaleb Bader d'Alger. Il partage notre analyse de la loi de 2006 qu'il a dénoncée à très juste titre. Personnellement, j'ai de très bons contacts avec des religieux catholiques en Algérie. Historiquement, ils ont rendu un très beau témoignage de la foi, surtout à travers leurs oeuvres dans le domaine social et médical. Nous pouvons nous en inspirer.
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