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28/10/2011

Conférence de la permanente Mosaïc National Marianne Geroult

AtelierM.Gueroult2.gifNous reproduisons ici une conférence donnée par la pasteure Marianne Guéroult intitulée : Hospitalité, accueil et interculturalité : la mission du Projet Mosaïc avec les Eglises issues de l’immigration, à la lumière de textes de l’Ancien Testament. 

 

INTRODUCTION

Depuis le début de l’humanité, les populations ont été amenées à se déplacer, pour fuir la famine ou la guerre, ou pour trouver des régions plus hospitalières. Les textes bibliques gardent la trace de ces migrations. Dans l’ancien testament particulièrement, les fils d’Israël ont dû se réfugier en Egypte ou ont été emmenés de force à Babylone. Toute la théologie biblique s’inscrit dans la perspective de ces déplacements. Dieu lui même est présenté comme un migrant qui vit au désert avec son peuple. C’est la raison pour laquelle les auteurs bibliques ont développé, à propos de l’étranger, une attitude tout à fait novatrice et originale dans le contexte de l’époque.

Malgré l’exigence forte donnée au peuple d’Israël de ne pas se laisser influencer par les croyances des peuples étrangers (cf Dt 7), la Bible présente l’accueil de l’étranger comme un impératif. Elle nous montre que Dieu se préoccupe en priorité des sans-droits: les étrangers, au même titre que les veuves et les orphelins, doivent pouvoir compter sur une protection de la part des croyants.

L’Histoire s’écrit souvent à partir des récits de conquêtes et de défaites des diverses puissances, mais l’Histoire des peuples est depuis l’origine une histoire de migrations. C’est ainsi que depuis le siècle dernier, un grand nombre de personnes ont rejoint l’Europe. Recherchés comme travailleurs après la dernière guerre mondiale pour reconstruire l’Europe, ils risquent aujourd’hui souvent leur vie pour rejoindre une Europe qui barricade ses frontières. Réfugié ou non, clandestin ou non, l’étranger est souvent ressenti comme une menace pour l’économie, pour la culture mais aussi pour les traditions religieuses. Les Eglises sont au cœur-même de ces problématiques. Comment se comportent-elles vis-à-vis de l’étranger ? De quelles manières vivent-elles l’hospitalité ?

I/ Le projet Mosaïc et les Eglises issues de l’immigration

L’humanité n’existe nulle part comme un seul corps politique, mais se présente au regard, partagée entre des communautés multiples, constituées de telle façon que certains humains leur appartiennent en tant que membres, tous les autres étant des étrangers. Qu’en est-il dans l’Eglise, ce corps dont Christ est la tête, formé de peuples divers pour construire l’espérance du monde entier ? (cf Eph 1, 9-10) Je parlerai ici des Eglises protestantes puisque c’est en leur sein que j’exerce mon ministère...

1) Les Eglises protestantes évangéliques issues de l’immigration

Depuis plus de 10 ans, les chrétiens venus d’Afrique subsaharienne et d’ailleurs ont cherché comment vivre leur foi en pays étranger. Leur présence peut se remarquer dans les communautés existantes, dans « nos » Eglises ou dans des communautés nouvelles, les Eglises issues de l’immigration qui se multiplient, notamment dans les grandes villes. Parmi les migrants, beaucoup d’entre eux se sont convertis au christianisme dans leur pays grâce au travail des missionnaires européens dans les siècles précédents.

- Une fois en France, certains d’entres eux cherchent à rejoindre les Eglises existantes, Eglises qui furent à l’origine de leur évangélisation. C’est pourquoi il y a un nombre croissant de fidèles issus de l’immigration dans nos Eglises des grandes villes. Cela constitue un véritable enrichissement mais pose aussi la question du « comment vivre ensemble ? », car fondées sur un socle commun, les pratiques ont évoluées de manière distinctes ici et là- bas. Comment se rencontrer et se déplacer pour que chacun trouve sa place ? ».

- D’autres éprouvent le besoin de se réunir avec leurs frères et sœurs de même origine, pour continuer de vivre leur foi et de célébrer Dieu selon leurs cultures, et dans leurs langues. C’est ainsi que l’on trouve de nombreuses Eglises de diverses provenances africaines (camerounaises, congolaise, ghanéennes), des Eglises malgaches, tamouls, coréennes, chinoises, japonaises, arabophones..., vivant parfois leur culte dans nos églises, mais à d’autres heures que le dimanche matin.

Parmi toutes ces Eglises, il faut distinguer :

 Les communautés identifiables confessionnellement : - reliées à l’Eglise mère dans le pays d’origine, - de théologie plutôt « historique » (presbytériens, méthodistes) - Liens facilités, mais difficultés liées à la « culture d’Eglise » - maintien et transmission de la culture, de la langue d’origine... Exemples : communautés coréennes, malgaches, camerounaises, cambodgiennes, égyptienne, ghanéenne, ivoirienne. Parfois anglophones...

 Les communautés « sans réelle frontière confessionnelle » : -communautés nouvelles et souvent difficiles à situer - de type « pentecôtiste », néo-pentecôtiste, ou « évangélique »

- certaines transnationales, qui se diffusent en utilisant les réseaux de migrants relevant d’initiative personnelle de tel ou tel leader

 Les Eglises issues de l’immigration faisant partie de la FPF :

CEAF (Communauté des Eglises d’expression africaine en France) : communautés (zaïroises) qui sont passées de la célébration dans leurs langues, à une célébration de cultures africaines en langue française.

 FPMA (Eglises protestantes malgaches en France)  Des communautés (tamoules, cingalaises, roumaines, chinoises...) faisant partie d’une Eglise (ou Union d’Eglises) rattachée à la FPF (FEEB...).

 La fédération des Eglises coréennes : en probation depuis l’AG 2010. 

Pour toutes ces communautés, il y a une grande difficulté : trouver un lieu de culte. Parmi elles, il y a différentes stratégies ou possibilités pour résoudre cette situation :

-Etre accueillies dans des paroisses d’Eglises FPF : simple prêt de locaux, ou projets pour « être Eglise ensemble » ?

-Louer à grand frais une salle dans un hôtel ou à l’écart dans des zones industrielles des villes de banlieue (souvent plus de 1000 euros de loyer mensuel)

2) Le Projet Mosaïc

En 2006, le Projet Mosaïc a été créé, par la Fédération protestante de France, en partenariat avec le Service protestant de mission (DEFAP), dans le but d’aller à la rencontre de ces Eglises issues de l’immigration, pour mieux les connaitre, les reconnaitre et les aider à trouver leur place dans la société et le paysage protestant français. Il s’agit d’encourager la reconnaissance mutuelle entre Eglises, de partager sur nos diverses pratiques, et de mieux témoigner ensemble.

« Vivre ensemble », « être ensemble témoins du Christ », n’est pas simple. Cela questionne et bouscule les habitudes. Faire de la place à l’autre, différent, nécessite d’adapter nos liturgies, chants, manière de prêcher... Cela passe par la reconnaissance de l’autre, tel qu’il est. Nous sommes appelés à nous déplacer et à retravailler des questions liées à la diversité culturelle, à l’intégration, au cheminement théologique des Eglises, au lien biblique entre foi et migration...

II/ L’étranger dans l’ancien testament

Le peuple d’Israël s’est construit dans la migration et l’errance, l’exode et l’exil. Les patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, se sont définis comme des étrangers en résidence et c’est ainsi qu’ils seront vus par la tradition biblique. Le vocabulaire pour désigner l’«étranger » est très riche dans l’Ancien Testament. Cela ne fera pas ici l’objet de notre étude. En raison de son origine, le peuple d’Israël, une fois installé en Terre Promise, a été sensible à la situation des étrangers. Hommes libres, ils ne jouissent pas de tous les droits civiques. Ils sont cependant soumis aux mêmes lois que les Israélites.

 En matière juridique : Il n’y a pas de législation particulière. Dans les procès, ils doivent être traités comme les Israélites (Nb. 15, 29 ; Dt. 1, 16) et sont soumis aux mêmes peines (Lv. 20, 2 ; 24, 16 et 22).

« La règle sera la même pour tous ceux qui auront péché par mégarde, Israélites ou étrangers vivant parmi eux » (Nb 15, 29) Moïse donne la directive suivante pour rendre la justice parmi le peuple : « Examinez les causes que vos compatriotes vous soumettent, et rendez des jugements équitables dans les affaires opposant un israélite et un de ses compatriotes ou un résident étranger » (Deut 1, 16)

Ils peuvent bénéficier de la protection des villes refuges (Nb. 35, 15). « Toute personne, Israélite, étranger ou hôte de passage parmi les israélites, qui a tué involontairement quelqu’un pourra se réfugier dans l’une de ces 6 villes (3 à l’est du Jourdain, 3 dans le pays de Canaan) » (Nb 35, 15)

 En matière sociale : Ils bénéficient des dispositions établies pour la protection des pauvres. Comme ils ne possèdent pas la terre, ils en sont réduits à louer leurs services. Ils ont part à la dîme triennale (Dt. 14, 29) et aux produits de l’année sabbatique (Lv. 25, 6). « Les lévites, qui ne possèdent pas de territoire au milieu de vous, pourront venir s’y ravitailler, ainsi que les étrangers, les orphelins et les veuves qui vivent parmi vous » (Dt 14, 29) Ils sont protégés de l’exploitation (Dt. 24, 14 et 17, Jr. 7, 6). « Ne profitez pas de la pauvreté ou de la misère d’un ouvrier, que ce soit un compagnon ou un étranger vivant dans une ville de votre pays » (Dt 24, 14). « Renoncez à profiter de la faiblesse de l’émigré, de l’orphelin ou de la veuve » (Jr 7,6). Ils sont protégés de l’expulsion s’ils sont en danger ! (Dt 23, 16) Assimilés aux indigènes, à la veuve et à l’orphelin qu’on recommande à la charité des Israélites, ils peuvent ramasser les fruits tombés ou oubliés après la récolte (Dt. 24, 19, 20 et 21). « Lorsque vous moissonnerez, si vous oubliez une gerbe dans le champ, vous ne retournerez pas la prendre ; vous la laisserez pour les étrangers, les orphelins et les veuves » Alors le Seigneur votre Dieu vous bénira dans tout ce que vous entreprendrez » (Dt 24, 19ss) Enfin comme tous les pauvres, ils jouissent de la protection de Dieu (Dt. 10, 18 ; Ml. 3, 5 ; Ps. 146, 9). « Dieu manifeste son amour pour les étrangers installés chez vous, en leur donnant de la nourriture et des vêtements » (Dt 10,18). « Le Seigneur veille sur les réfugiés,... » (Ps 146, 9)

 En matière religieuse : Ils doivent comme tout Israélite s’abstenir de tout commerce avec les dieux étrangers (Lv. 20, 2). « Si un Israélite ou un étranger vivant en Israël offre un de ses enfants en sacrifice au dieu Molek, il doit être mis à mort » (Lv 20,2). S’ils blasphèment le nom du Seigneur, ils seront lapidés comme tout homme en Israël (Lv. 24, 16). « Qu’il s’agisse d’un étranger ou d’un israélite, il sera mis à mort pour avoir insulté le nom de Dieu » (Lv 24, 16). Ils bénéficient du pardon accordé lors de l’expiation de fautes involontaires (Nb. 15, 26). « Le pardon sera accordé à l’ensemble de la communauté israélite et aux étrangers vivant parmi eux » (Nb 15, 26). Ils sont « soumis » au sabbat (Ex. 23, 12). « Soumis », c’est-à-dire ayant droit à une journée de congé, ce qui n’est pas évident quand on est travailleur immigré ! « Vous avez 6 jours dans la semaine pour accomplir votre ouvrage, mais le 7ème jour, vous cesserez toute activité, afin que vos bœufs et vos ânes puissent se reposer, et que les serviteurs et les étrangers puissent reprendre haleine » (Ex 23, 12). Ils sont soumis aux mêmes interdits, comme celui de consommer du sang (Lv. 17, 10, 12 et 15). Ils peuvent participer à la vie religieuse d’Israël, présenter des offrandes, participer aux fêtes et célébrer la Pâque avec les Israélites, s’ils sont circoncis (Ex. 12, 48 ; Lv. 22, 18) et il n’y a pas de rituel particulier qui leur soit destiné (Nb. 9, 14 ; 15, 14, 15 et 16). « Si un étranger installé chez vous désire célébrer la Pâque en l’honneur du Seigneur, il faut que tous les hommes et garçons de sa famille soient circoncis » (Ex 12, 48).

III/ L’hospitalité : « Un émigré et un hôte »

Dans l’Ancien Testament, l’histoire du peuple hébreu s’ouvre par l’histoire des Patriarches, qui a pour première partie le cycle d’Abraham. Dans les récits des patriarches, le contact avec les autres est envisagé de manière pacifique, voire sous forme de cohabitation. Le Dieu du cycle d’Abraham est un Dieu pacifique qui veut la bonne entente entre les différents peuples. En Gn 18, Dieu annonce à Abraham que Sara aura un fils, par l’intermédiaire de 3 hommes qui sont accueillis par Abraham. Nous avons ici un bel exemple d’hospitalité partagée, dans laquelle on ne sait pas qui reçoit plus que l’autre. Un avenir s’ouvre pour Abraham, grâce à ces hôtes qu’Abraham accueille. Ceux qui sont accueilli sont aussi ceux qui donnent un avenir possible. Nous pouvons de même voir le migrant comme celui qui donne quelque chose à ceux qui l’accueillent, et non comme celui qui prend (l’espace, le travail...). On se souvient en particulier de l’exhortation de Jérémie dans la lettre aux juifs déportés à Bablylone : 

« Cherchez à rendre prospère la ville où le Seigneur vous a déporté ! » (Jer 29, 7)

Dans l’AT, un certain nombre d’occurrences du mot « étranger » ou « émigré » s’appliquent à des israélites. C’est de cette manière qu’Abraham parle de lui en Gn 23,4. Il est au pays de Canaan et il demande un lieu pour le tombeau de son épouse Sara et il dit : « je ne suis qu’un étranger, un hôte de passage parmi vous ». Cette expression « émigré et hôte » a son origine dans le livre du Lévitique, chapitre 25. Elle est répétée plusieurs fois, aux versets 23, 35 et suivants. Le peuple « émigré et hôte » n’est pas seulement celui qui appartient à une autre ethnie, il est celui qui n’a de place que parce que l’autre (Dieu) la lui donne et la lui accorde. Le mot « hôte » renvoie à l’hospitalité et à l’accueil et indique aussi une certaine permanence de l’habitation. Dieu est donc Celui qui accueille son peuple « chez lui » et lui donne d’habiter dans son pays. Gn. 23, 4 plonge ses racines dans cette théologie. Abraham l’émigré a été accueilli par les fils de Heth qui lui ont permis de résider. Non seulement accueilli, mais aussi honoré et reconnu, Abraham est appelé « mon seigneur » aux v. 6 et 11. Ils lui proposent de surcroît un accès libre aux tombeaux familiaux. Abraham ne veut pas abuser de ses accueillants en profitant de la situation, mais être soumis aux mêmes règles que les gens du pays. S’adressant vraisemblablement à des gens revenus en Palestine, ce texte rappelle, par la voix d’Abraham (figure de l’exilé qui revient), le statut du peuple de Yhwh avec la législation du Lévitique (là où ils sont, ils sont d’abord chez Dieu). Il les exhorte ensuite à se comporter conformément à l’éthique d’Abraham sans abuser du droit d’hospitalité et à être respectueux comme lui vis-à-vis des accueillants qui ont fait de leur pays une terre d’asile pour Abraham. Il n’y a ici rien de comparable avec la notion d’étranger lorsqu’il est associé à la veuve et l’orphelin, comme en Deutéronome ou Exode. Alors que les Lois de l’Ancien Testament s’attachent à rapprocher les droits des émigrés non israélites de ceux des gens du pays, Gn 23 au contraire nous montre Abraham comme « émigré et hôte », ne dépendant pas d’un espace sacré ni des pratiques de ses hôtes, mais dépendant de Dieu seul.

Dans le cadre du projet Mosaïc, j’organise chaque mois un repas Mosaïc à Paris, pour les responsables de diverses Eglises membres ou non de la FPF, issues ou non de l’immigration. L’autre fois, lorsque les présentations se faisaient autour de la table, un pasteur s’est présenté comme étant d’origine roumaine, et il a demandé à un pasteur africain de quelle origine il était. Ce dernier a répondu : « je suis citoyen des cieux, comme tout le monde ici, nous sommes tous enfants de Dieu, peu importe notre origine ! ». Ceci est vrai. Pourtant, force est de constater que nous n’arrivons pas à vivre tous ensemble notre foi de la même manière. Si l’on parle d’Eglises issues de l’immigration, d’Eglises ethniques, c’est bien parce que des croyants ont le besoin de vivre leur foi selon leur culture, de célébrer le culte dans leur langue et culture. Cela est très compréhensible, Dieu nous parle dans l’intime de notre langue maternelle. De plus, dans une société qui a tendance à vouloir assimiler l’étranger en invoquant l’intégration, il y a très peu de lieux dans lesquels les migrants peuvent vivre et transmettre leur culture à leurs enfants. L’Eglise est parfois le seul endroit et espace possible. 

Cependant, on peut également comprendre la réaction de certains protestants réformés par exemple, qui ne comprennent pas pourquoi des africains francophones (camerounais par exemple) ne viennent pas dans leur culte réformé. Il faut noter qu’un grand nombre d’africains fréquentent les lieux de culte réformés, mais que d’autres ont besoin de vivre le culte selon leur tradition et leur culture. N’oublions pas non plus que s’ils sont francophones, ils parlent aussi une autre langue, leur langue maternelle bien souvent dans laquelle ils ont toujours prié. Mon travail consiste donc à encourager d’avantage les Eglises à s’accueillir mutuellement. Un grand nombre d’Eglises réformées, luthériennes, baptistes, qui ont des locaux dans les grandes villes, accueillent des Eglises issues de l’immigration en leur prêtant le lieu de culte. Il est nécessaire d’encourager les liens entre les communautés pour un enrichissement mutuel.

IV/ L’impératif de l’accueil

L’insistance sur la protection des faibles n’est pas une spécificité de la loi biblique. Ce thème est présent dans toute la législation du Proche-Orient ancien, parce que l’on sait qu’une société ne peut pas fonctionner si tous ses membres ne s’y trouvent pas intégrés d’une manière ou d’une autre. Dieu a le souci que toute sa création trouve l’harmonie, que chaque être créé trouve sa place et son équilibre dans la société. Il n’est donc pas étonnant que Dieu lui-même s’occupe de l’intégration de l’étranger. En Deutéronome 10, 17-19, on peut lire : « L’Éternel, votre Dieu, est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, fort et redoutable, qui n’avantage personne et qui ne se laisse pas corrompre par des cadeaux. Il prend la défense des orphelins et des veuves, et il manifeste son amour pour les étrangers installés chez vous, en leur donnant nourriture et vêtement. Vous donc aussi, aimez les étrangers qui sont parmi vous, car vous avez été des migrants en Égypte. » (Dt 10, 17-19) Et dans le Lévitique, 19,34 : « Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un compatriote ; tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été des étrangers en Égypte. » L’étranger est ici réellement pris en compte. Il est considéré comme autre chose qu’une marchandise ou un outil. Il rejoint la catégorie des « sans droits », des sans ressources, avec la veuve et l’orphelin, et même celle des compatriotes dans le Lévitique. Il est ainsi associé au « prochain à aimer » ! Le passage du Deutéronome fonde cette attitude sur l’action de Dieu : Il aime le migrant et en prend soin. Avoir été étranger, immigré et esclave est une expérience identitaire fondamentale. L’épreuve de la migration et de l’esclavage ne font pas le lit d’un esprit revanchard. Elles n’autorisent pas à faire subir ce qu’on a subi à « ses » propres immigrés ! Mais il faut bien noter que cet amour du migrant est conditionné par sa soumission aux grands principes de la société israélite, avec la reconnaissance de son Dieu. C’est tout le message du très beau livre de Ruth : « Ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu » (Ruth 1, 16). Le « prochain à aimer » est celui qui se fait proche, qui s’intègre humblement. Qu’en est-il aujourd’hui dans notre problématique des Eglises issues de l’immigration ? Cela signifie-t-il que le migrant doit s’intégrer dans nos Eglises, dans nos manières de vivre notre foi ?

V/ Intégration* et hospitalité

L’appel à aimer et respecter l’étranger n’est soumis à aucune condition. Il doit être accueilli et traité comme un autochtone, un compatriote. Or nous le savons, le protestantisme en France est loin d’être uni. Chacun a la liberté de vivre sa foi dans la communauté de son choix. Pourquoi alors demander aux Eglises issues de l’immigration de s’unir : tous les camerounais ensemble, les malgaches, les ghanéens..., et pourquoi pas les africains d’ailleurs !? On pense souvent que le fait qu’il y ait des Eglises issues de l’immigration est un manque d’intégration de la part des migrants. Mais on peut le voir d’une autre manière. En effet, le migrant qui vit sa foi dans une communauté issue de l’immigration, peut prendre des responsabilités au sein de son Eglise, ce qui lui donne un rôle social, qu’il aurait plus de difficulté à avoir au sein d’une Eglise d’autochtone.

Si je reviens maintenant à la lecture des textes de l’Ancien Testament que nous avons évoqués, on peut dire que la Bible connaît une identité selon la généalogie et une identité selon la vocation. A priori, c’est cette dernière qui fait davantage de la place à l’étranger. Ce sont les écrits appartenant à la tradition deutéronomique (Dt, Jos, Jg, Sam, Rois, Jr) qui définissent l’identité du peuple d’Israël non par la généalogie, mais par l’adhésion à un projet commun. Ainsi, la possibilité d’intégration est théoriquement plus grande, puisque l’étranger peut faire partie de la communauté s’il partage les mêmes options et projets. Le livre d’Osée, chapitre 12, nous présente un modèle prophétique qui fonde l’identité d’Israël sur sa vocation au désert. L’enjeu pour Israël, c’est donc d’opter pour sa véritable identité, et cette identité est vocationnelle, elle se fonde sur le Dieu qui a libéré un peuple d’opprimés. C’est ce modèle qui explique l’insistance sur le respect et l’intégration de l’étranger. A l’opposé, les récits des patriarches, qui sont construits sur le modèle de la généalogie, insistent sur la tolérance et le respect mutuel de différents groupes vivant sur le même territoire. Ce paradoxe apparent s’explique pourtant. Chaque société a besoin de points de repère, d’une identité. Les dérives identitaires sont fréquentes, tant sur le plan de la généalogie que de la vocation.

L’attitude envers l’étranger, doit par conséquent se situer dans la tension entre la volonté de l’intégrer et la capacité d’accepter ses différences. C’est ce qui fait à la fois la richesse et la difficulté du Projet Mosaïc. Aller à la rencontre des uns et des autres, si différents dans leur manière de vivre leur foi et de vivre l’Eglise, est très enrichissant et rejoint l’espérance d’être à l’image du corps du Christ, unis tout en gardant la spécificité de chaque membre. Mais les peurs demeurent... La peur du peuple d’Israël de perdre son identité au contact des autres peuples est d’actualité dans nos Eglises !

DesEglises« historiques »sontréticentesàl’égardd’Eglisesissuesde l’immigration, par peur que leurs propres fidèles aillent vers ces Eglises souvent plus vivantes et jeunes !Des Eglises issues de l’immigration résistent aux contacts avec les autres Eglises, pour les mêmes peurs, mais aussi par peur de perdre leur identité si elles s’intègrent dans le protestantisme français...

VI/ Nouvelles expressions de foi :

Ces peurs sont souvent les conséquences d’une méconnaissance de l’autre, ou d’un rejet de la différence. Un grand nombre d’Eglises issues de l’immigration sont de tradition plutôt charismatique et pentecôtiste, d’autre plus proche de la tradition luthéro- réformée. Il est vrai que les africains en particulier donnent une grande place à la louange et au témoignage durant leurs cultes. C’est tout le corps qui exprime les émotions et la joie de la relation à Dieu. Là encore, des récits bibliques peuvent nous aider à mieux comprendre cette manière de célébrer Dieu. Je ne citerais qu’un verset du Psaume 117 : « Louez le Seigneur tous les peuples, fêtez-le tous les pays ! » Lorsque les croyants dansent, ou élèvent leurs bras pour louer Dieu, cela ne signifie pas que le corps se donne en spectacle, mais il bondit de joie d’exister devant Dieu et devant ses frères, il exulte de reconnaissance. Par les chants, c’est tout un peuple qui chante et qui se rassemble au-delà des frontières du temps et de l’espace. Les communautés qui prient de cette manière ouvrent leur porte à d’autres. Le nombre de fidèles augmente souvent, car les pratiquants n’hésitent pas à inviter des proches, des collègues, des amis, pour partager leur foi. Et les invités, visiteurs, se font eux-mêmes invitants. Rien ne tisse des liens comme l’hospitalité mutuelle ! N’est-ce pas ainsi que s’est constitué le peuple de Dieu après l’exil ? Atraversbiendes péripéties,toussesontreconnus« filsd’Abraham », l’araméen errant. La marque de fabrique du Peuple de Dieu n’est-ce pas d’être un peuple migrant ? Les prières et les témoignages, empruntes des récits de vie des uns et des autres, permettent d’inscrire les récits individuels dans le grand récit de l’histoire de tout un peuple, de tricoter notre propre histoire singulière dans la grande toile de l’histoire de l’humanité. On peut se demander ce qui s’exprime de la foi en Dieu dans ces divers témoignages. Mais que savons-nous de la foi ? Nous n’en connaissons bien souvent que les expressions qui nous sont les plus familières. Le propre de la foi est précisément d’être une foi en devenir... Certaines expressions de foi peuvent nous surprendre ? Laissons-nous surprendre... et demandons-nous plutôt si la Parole vivante de Dieu n’est pas en train de faire germer une floraison nouvelle sur des terrains encore inconnus de nous. La foi des protestants, à travers la diversité de ses Eglises, ne cesse de prendre racine de manière inédite dans des cultures nouvelles... à la manière de certaines plantes qui croissent par marcottage. L’unique tige originelle de l’Evangile prenant racine sur des terres inconnues, produit des fruits inédits. Nos Eglises accepteront-elles de se laisser surprendre et d’accompagner ces jeunes pousses ? C’est ce que tente de faire le Projet Mosaïc !

CONCLUSION

Avant de conclure, je tiens à vous remercier pour cette invitation que vous m’avez faite pour parler de ce thème : « hospitalité et accueil dans l’Ancien Testament », et le mettre en lien avec mon travail auprès des Eglises issues de l’immigration. Je ne suis pas bibliste, mais j’aime la Bible, et pour moi, la Parole de Dieu est au centre de mon ministère. Cela a donc été pour moi l’occasion de me rappeler que dans les Eglises africaines, la prédication porte souvent sur ce 1er testament. On peut se demander pourquoi une telle préférence ? Cela peut s’expliquer par le fait que les anciens missionnaires avaient souvent une approche assez légaliste du message chrétien. Cela a souvent conduit les africains à recevoir l’Evangile comme Loi plutôt que comme grâce. La pratique des observances citées dans l’Ancien Testament est alors privilégiée. Celui-ci sert alors à justifier l’introduction des valeurs des religions traditionnelles et des coutumes ancestrales dans l’Eglise et dans la pratique de la foi chrétienne. La préférence pour l’Ancien Testament s’explique aussi par la situation d’oppression. Le thème « oppression/salut » présent dans les récits de l’histoire du peuple de Dieu répond aux attentes des africains. La figure centrale de référence est celle de Moïse, le libérateur. Les récits de la Genèse sont aussi souvent repris et cités. Et puis il y a cette promesse faite à Abraham : promesse d’une terre d’accueil, d’une descendance, deux dons qui sont au cœur même de la vie des africains.

De plus, concernant la notion de famille élargie au clan, et les rites concernant les morts, les israélites avaient quelques pratiques qui se rapprochent de ce qui se vit en Afrique. Pour conclure ce vaste sujet, je vous rappelle quelques points importants évoqués : C’est Dieu lui-même qui protège l’étranger (Ps 146,9), lui « qui aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau » (Dt 10,18). Le commandement d’amour à l’égard de l’étranger a son fondement dans l’amour de Dieu lui-même. Dieu – « le Dieu tout autre » – se présente à nous, aujourd’hui aussi, comme l’Autre sous la forme de l’étranger, et il est particulièrement proche des hommes qui sont en situation d’étrangers. La proximité de Dieu se concrétise pour nous dans notre manière d’agir, en tant qu’Église, envers et avec les étrangers. L’engagement des Églises dans la politique de migration trouve ici une justification fondamentale. Les textes bibliques de l’Ancien Testament nous invitent à nous souvenir que nous sommes tous des étrangers les uns par rapport aux autres. Cette invitation, un peu imaginaire, qui fait de nous-mêmes l’étranger de l’étranger échappe au fantastique lorsqu’elle est mise à l’épreuve du devoir d’hospitalité. Celui qui est accueilli reçoit mais celui qui accueille reçoit également ! L’hospitalité n’est pas simplement un devoir, mais c’est une nécessité pour l’humanité. Traditionnellement en Afrique, celui qui n’accueille pas est coupable. Chez nous, notre législation a créé un délit d’hospitalité pour ceux qui accueillent les sans papiers. Que faire quand cette nécessité pour l’humanité est oubliée et reniée ? Peut-être se rappeler toujours qu’en plus d’être une nécessité, l’hospitalité à l’égard des étrangers est un chemin de bénédiction, comme nous le dit ce beau verset de l’épître aux hébreux : « N’oubliez pas de pratiquer l’hospitalité. En effet, en la pratiquant certains ont accueilli des anges sans le savoir » (Hb 13,2).

*Le terme « intégration » est à distinguer de la notion d’assimilation. Une personne est bien intégrée, non pas quand elle rentre dans des normes, mais quand elle se sent bien à sa place là où elle vit et évolue.

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