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26/06/2014

Les églises évangéliques ont-elles une fonction de régulation sociale dans les banlieues ?

Unknown-1 14.50.36.jpegLe lynchage d’un jeune Rom le 13 juin dernier dans une cité de Pierrefitte rappelle que la Seine-Saint-Denis (93), dans le nord-est de la région parisienne, demeure l’un des départements au contexte social le plus tendu de France. En 2010, le taux de chômage (11,2 %) y était plus élevé qu’en Ile-de-France (8,2  %) et qu’en France métropolitaine (9,3 %). Le « Neuf-Trois » (93) ou « neuf-cube », chiffre attribué par l’Insee, est aussi l’un des départements qui compte le plus d’Églises évangéliques. Une centaine d’associations cultuelles sont répertoriées dans l’annuaire édité par le Conseil national des Églises évangéliques de France (CNEF).

Parmi elles, les Églises membres de la Communauté des Églises d’expressions africaines (CEAF) sont particulièrement représentées ainsi que les Assemblées de Dieu (ADD) et l’Entente et coordination des œuvres chrétiennes (ECOC).

Relooking

« Nous offrons le plus d’activités afin que le moins de jeunes s’ennuient. C’est l’inactivité qui mène à la violence », martèle Christian Simalaka, 38 ans, enseignant en commerce et gestion et responsable « jeunesse » de l’Assemblée évangélique foi vivante et paix en Christ, à Pierrefitte. « Nous avons mis en place une cellule “ressources humaines” qui organise des cours d’informatique, une banque alimentaire, mais aussi du soutien pour la rédaction de lettre de motivation et de C.V. Récemment, un atelier a eu beaucoup de succès : le relooking. Des paroissiens, qui sont aussi des professionnels de l’esthétique, expliquent comment s’habiller et se maquiller pour un entretien d’embauche. Nous organisons même un défilé de mode filmé pour que les paroissiens puissent prendre conscience de leur image. » Laïcs et pasteurs s’accordent pour reconnaître qu’ils ne souffrent pas d’un climat d’insécurité en Seine-Saint-Denis. « Peut-être parce que j’ai grandi ici », admet simplement Christian Simalaka qui est aussi conseiller municipal de l’opposition à la mairie PS de Sarcelles.

À quelques kilomètres de Pierrefitte, à Saint-Denis, des activités plus classiques mais organisées chaque semaine sont offertes aux adolescents et aux étudiants, membres de la mission évangélique internationale Salut pour tous. « Les occuper, c’est les canaliser, explique le pasteur Jean-Claude Gnagou. Un jeune qui vient à l’Église a un repère. Pour Pâques et Noël, les adolescents savent qu’ils devront donner une représentation théâtrale ou un concret de leur chorale de gospel alors ils s’organisent pour les répétitions et les déplacements. » Selon les responsables de ces ateliers, l’objectif est précisément d’« expliquer aux enfants et aux juniors pourquoi ils viennent à l’Église et qui est Jésus ». Des banques alimentaires sont aussi des occasions pour ceux qui ont été aidés de s’engager et d’aider à leur tour. « Il suffit qu’une personne ait son permis de conduire pour qu’elle trouve sa place et puisse aider, poursuit Jean-Claude Gnagou. Nous l’occupons, même si elle n’a pas de travail. Nos activités sont simples, la distribution a lieu dans nos locaux. En tant que chrétiens, nous aidons la veuve et l’orphelin, quelle que soit sa religion.»

Un rayonnement local

Pasteur pentecôtiste depuis 1994 à Neuilly-sur-Marne, dans la cité des Fauvettes, Bertrand Colpier estime que l’ennui et le chômage sont une des causes de la violence juvénile : « Le célibat des mères et les violences parentales en sont d’autres. Les plus violents ont souffert de l’abandon des parents, ils vivent seuls et choisissent les petits trafics. Toutefois, depuis six ans, je note une baisse des descentes armées de police dans ma cité HLM. »

Fin connaisseur du 93, le pasteur relativise la spécificité de l’action sociale des Églises évangéliques : « Leur force est de continuer d’organiser des camps et de former des animateurs, le tout sans aucune subvention publique. Elles offrent un accompagnement personnalisé. Au mieux, un jeune décide de s’accrocher lorsqu’il découvre l’équipe de football de l’Église.

» Puis, il vient au goûter et au groupe de prière. Mes deux fils de 20 et 17 ans invitent leurs amis non croyants à des concerts chrétiens. Ces derniers voient qu’ils existent des “gens différents”, et c’est très bien, mais cela ne remplace pas une politique sociale publique. Le rayonnement d’une Église reste local. »

Un rôle de sas d’intégration

Frédéric Dejean est chercheur, spécialiste en géographie des faits religieux. Entretien.

Comment expliquez-vous que certaines Églises évangéliques offrent tant de services à leurs fidèles ?

Les Églises évangéliques, en particulier celles issues de l’immigration, font redécouvrir la fonction sociale des Églises. Elles permettent à leurs fidèles arrivés en France de s’intégrer. Si elles multiplient les services, c’est d’abord parce qu’il y a une demande.

Les Églises jouent le rôle de sas d’intégration : la communauté permet de retrouver des éléments connus avec la louange, la prédication et les relations interpersonnelles tout en se familiarisant avec la société d’accueil.

Le contexte urbain parfois tendu influe-t-il sur l’offre de services des Églises évangéliques ?

Ces Églises sont attentives à l’environnement social. Dans les prédications, les problèmes sociaux sont articulés à des considérations religieuses. Je parle d’« Églises enracinées » pour désigner celles qui proposent des services à l’ensemble des citoyens et pas seulement à leurs fidèles. Par exemple, dans les quartiers nord de Montréal, beaucoup d’Églises haïtiennes ont mis en place des activités visant spécifiquement la jeunesse. Cela passe par des groupes de danse, de théâtre ou de chant pour que les jeunes trouvent des lieux d’accueil.

Leurs activités pallient-elles les déficiences de l’action sociale des collectivités territoriales ?

Il est possible d’évoquer le désengagement des institutions publiques au profit d’acteurs communautaires et privés, mais il est plus intéressant de mettre l’accent sur leur complémentarité. Les deux ne remplissent pas la même fonction. Dans les Églises issues de l’immigration, leurs fondateurs ont eux-mêmes vécu de façon intime l’expérience du déracinement et de l’intégration, pas toujours facile, dans la société française. Ils sont les mieux placés pour apporter une aide à ceux qui vivent une expérience semblable. Cela dit, cette aide comporte des limites, notamment parce que les services offerts ont un coût et que les revenus des Églises demeurent modestes.

Dans ce contexte social et économique, leur image d’Églises prosélytes envers les non-croyants est-elle justifiée ?

Ce type de jugement traduit une sorte de tabou – d’ailleurs assez répandu dans les milieux luthéro-réformés – envers le travail d’évangélisation, comme si l’évangélisation s’accompagnait forcément d’une forme de violence symbolique. Bien sûr que les évangéliques sont prosélytes ; ils ne s’en cachent pas, d’autant plus que c’est un élément constitutif de leur identité. Dans une société caractérisée par la multiplication des messages de toutes sortes, le prosélytisme qui prend des formes multiples est vu comme une façon de toucher les gens.

Propos recueillis par Linda Caille pour le journal Réforme du 25 juin. 

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