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23/06/2014

Connaissez-vous les Eglises brésiliennes en France? Lisez cet article de Réforme

culte_bresil.jpgPrier comme au Brésil... à Paris

Depuis plus de dix ans, l’Église évangélique brésilienne Pão da Vida officie en plein cœur de Paris. Sa bonne santé spirituelle se conjugue avec une certaine aisance matérielle.

« Ton amour va briller au nom de Jésus. » Face à la chanteuse évangélique, plus de 150 Brésiliens dansent et chantent. Guitares, batterie et chœur de cinq jeunes filles : la musique est à fond. Les fidèles ont une bible à la main, tendent l’autre vers le ciel. Des « Gracas a deus » (Dieu soit loué) résonnent aux quatre coins de la salle. La chanteuse, les yeux fermés, les mains crispées sur le micro, est au bord des larmes : « Le règne de Dieu a commencé, et va durer pour toujours. »

Nous ne sommes pas au Brésil, mais bien à plus de 9 000 kilomètres de là, place de la République, au théâtre Déjazet. C’est ici, au cœur de Paris, qu’officie depuis plus de dix ans l’Église évangélique brésilienne Pão da Vida.

Derrière les portes matelassées de rouge aux poignées coiffées d’angelots, les fidèles ont droit à plus de deux heures de concert, et de prédications au phrasé simple et direct. « La lumière va briller », annoncent les officiants, qui appellent les présents à « soigner leur cœur », à « ouvrir les fenêtres du ciel ». Les paroles des chants, qui défilent sur un écran géant derrière les artistes, sont bilingues : portugais et français. Pourtant, à Pão da Vida, il y a peu de francophones, et encore moins de Français. La quasi-totalité des fidèles sont brésiliens.

« C’est vraiment comme au Brésil ! Je me sens bien ici ! », rigole Douglas. À vingt ans, ce jeune garçon de l’intérieur du Brésil est arrivé il y a à peine 10 mois en France. « La langue est la même bien sûr, mais aussi la liturgie, les cantiques, les chants. » À l’entrée du théâtre, une jeune adolescente vend des spécialités du pays natal : cochinas, enroladinas, et pao de queijo. De quoi réconforter ceux qui souffrent de la « saudade », le mal du pays.

« La richesse est un droit »

À l’office du dimanche, la plupart des fidèles sont issus des couches populaires. « Les gens imaginent souvent que la communauté brésilienne en France, ce sont des diplomates ou des chefs d’entreprise, qui dépensent 30 000 ou 40 000 euros par jour aux Galeries Lafayette, rappelle Mauro Cardoso, trente-deux ans, bénévole à Pão da Vida. Mais ce sont en fait pour la plupart des personnes en très grande difficulté, sans-papiers ou sans-emploi. À l’église, on a aidé des Brésiliens qui dormaient dans le métro, d’autres qui n’avaient rien mangé depuis plus de deux jours. »

De lieu spirituel, Pão da Vida est donc devenu centre d’accueil social. On y offre tickets de métro, vêtements, cours de français, et même un lit pour quelques jours dans des appartements détenus par des Brésiliens à Paris. « On garde l’esprit de partage », assure Mauro Cardoso. Le discours généreux révèle cependant ses limites. Ici, affirment les fidèles, on aide tout le monde, « même » les Roms, les prostitués et les homosexuels.

Et l’assistance n’est pas tout à fait gratuite. Pão da Vida affirme n’avoir aucun lien avec ses puissants homologues d’Amérique latine (22 % des Brésiliens sont évangéliques), et ne recevoir aucun financement public. L’argent vient donc exclusivement des dons des fidèles, et de la dîme – 10 % du salaire – que chacun dit ici payer, même les plus modestes.

Marcia (1)  vient de Salvador de Bahia, dans le toujours très pauvre nord-est du Brésil. Arrivée en France il y a un an, elle est aujourd’hui femme de ménage, ne parle pas le français, et surtout n’a pas de papiers. Ce qui n’empêche pas l’Église d’accepter ses dons. « Il faut être fidèle !, s’exclame-t-elle. Mais le don doit venir du cœur, on ne doit pas le faire en attendant quelque chose en retour. Dieu ne fonctionne pas comme ça ! »

Le don désintéressé de Marcia alimente une grosse machine. À l’entrée, un stand bien fourni propose quantité de livres, t-shirts et CD. Pão da Vida organise aussi des concerts. Elle dispose d’une salle de répétition pour ses artistes. En juillet prochain, l’Église accueillera Diante do Trono, l’un des plus grands groupes de musique évangélique d’Amérique latine, qui affirme avoir vendu plus de 10 millions d’albums au Brésil. Le matériel nécessaire au culte est entreposé à l’arrière du théâtre Déjazet, dont plusieurs dizaines de mètres carrés sont loués par Pão da Vida.

L’Église, pourtant, ne semble pas craindre de dérive matérialiste. Comme le rappelle Jésus Garcia Ruiz, spécialiste du néopentecôtisme en Amérique latine, les évangéliques brésiliens assument parfaitement leur insertion dans l’économie de marché. « Dans les Églises traditionnelles, il y a cette vision qu’il faut accepter une forme de pauvreté matérielle sur terre. Chez les évangéliques, au contraire, la richesse est un droit. D’où ce système, où l’on cherche l’enrichissement par l’intermédiaire du religieux. »

Et le « business » semble porter ses fruits : « Au Brésil, on a assisté à un net enrichissement des pasteurs, rappelle Stéphane Monclaire, spécialiste du Brésil à l’université Paris 1. Même les petits pasteurs, s’ils arrivent à réunir un nombre important de croyants, peuvent acquérir un patrimoine personnel considérable grâce aux dons des fidèles. »

Des stars du PSG

Sur scène, les chanteurs défilent, les orateurs aussi, autour du fondateur de Pão da Vida, le pasteur Paulo Pereira. Petit, presque chauve et chaussé de lunettes, il ne prend la parole qu’à la fin de l’office. Il parcourt alors la scène du théâtre de bout en bout, sans notes, et promet espoir et prospérité aux Brésiliens en situation précaire venus l’écouter...

Dans les coulisses, Paulo Pereira est pourtant réservé sur sa formation. Né dans une famille évangélique, Paulo Pereira aurait fait ses classes de 1999 à 2003 dans l’Église évangélique londonienne « Living Bread ». En 2003, celle-ci décide de l’envoyer en France pour y créer une Église à destination des Brésiliens. « À cette époque, nous ne connaissions personne à Paris, nous devions nous en remettre totalement à Dieu », raconte-t-il. Mais Paulo Pereira n’est pas si seul que ça. Il a avec lui sa femme Elaine, elle aussi pasteur, qui intervient à plusieurs reprises durant l’office. « Un appui moral », selon lui. Ses deux filles montent également sur scène, et chantent pour accompagner les artistes. « C’est typique, réagit Jesus Garcia-Ruiz. Au sein des Églises évangéliques brésiliennes, il existe une forme de privatisation du religieux. Le pasteur est propriétaire de son Église. »

Signe de sa bonne santé, l’Église publie depuis le mois de mars un magazine. Les dons proviennent parfois de milieux étonnants. Selon les fidèles, des stars brésiliennes du Paris Saint-Germain, comme le milieu offensif Lucas Moura ou le défenseur Marcos Ceará, seraient venues régulièrement à l’office ces dernières années. Pourtant, après 11 ans de culte, Paulo Pereira se garde de faire des plans sur l’avenir. Celui-ci semble pourtant plein de promesses. « Il y a 10 ans, quand Pão da Vida a été créée, il n’y avait que 4 Églises évangéliques brésiliennes en Ile-de-France, affirme le pasteur. Aujourd’hui il y en a plus de 30 ! Et plus d’une centaine en France. »

(1). Le prénom a été modifié.

Article paru dans Réforme de Bruno Meyerfeld

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