21/05/2012
Pourquoi les évangéliques font peur en France? Un article de Slate Afrique
Africains, Français, Maghrébins et Chinois sont séduits par un discours qui épouse leur vision critique «d’une société française qui marginalise et stigmatise ses étrangers»
IL EST 10 HEURES DU MATIN. «CHARISMA», UNE ÉGLISE ÉVANGÉLIQUE DU BLANC-MESNIL, COMMUNE DE LA BANLIEUE NORD-EST DE PARIS, S’ÉVEILLE. DIFFICILE DE SE FRAYER UN CHEMIN PARMI LES VOITURES GARÉES EN FILE INDIENNE DEVANT L’ENTRÉE DE L’ÉDIFICE. EN DÉPIT DE SA LOCALISATION PEU ATTRAYANTE –AU CŒUR D’UNE ZONE INDUSTRIELLE ET AUX ABORDS DU PÉRIPHÉRIQUE– L’ÉGLISE N’EN ATTIRE PAS MOINS DES MILLIERS DE CROYANTS TOUS LES DIMANCHES. LES BUS AFFRÉTÉS PAR LE PASTEUR PEDRO FINISSENT D’ACHEMINER LES DERNIERS FIDÈLES.
Des bénévoles sont postés devant la grille et accueillent les retardataires, apprêtés pour ce jour de prière et de fête. Salle comble. Dix minutes avant le début de l’office, les fidèles peinent à accéder aux derniers sièges libres.«Installez-vous, choisissez rapidement votre place et ne restez pas dans les couloirs», recommande vivement l’une des employés de l’église, vêtue d’une chemise bleue assortie à son fard à paupières. Comme elle, de nombreux bénévoles s’affairent pour assurer le bon déroulement de l’office.
Un rythme de batterie, deux notes de synthé et les esprits s’échauffent. Le décor: une scène lumineuse, ornée de lampions rouges et d’images de Jérusalem. «Moi, j’ai envie de danser», lance un chauffeur de salle avant d’ajouter«moi, je vous accueille et je vous dis swing!»
«Pour moi, le pasteur c'est comme un chef d'Etat»
Il n’en faut pas plus pour éveiller les esprits alertes des fidèles qui, déjà, frappent des mains, debout, face à la scène. Les plus jeunes sautillent et se risquent à des déhanchés endiablés, quand les plus âgés expriment la même ferveur assis sur leur siège. Au même moment, un caméraman tente de saisir les moindres signes d’exaltation. Les images sont ensuite retransmises sur deux écrans géants.
«Quand je manque de paix, je me tourne vers toi, mon Sauveur, le Roi des rois», chantent les fidèles, les deux paumes vers le ciel.
«Le pasteur est d’origine portugaise, précise une fidèle avant d’ajouter que l’homme est expérimenté. Ca fait plus vingt ans qu’il est papa», précise-t-elle d’une voix chevrotante.
«Papa», c’est l’autre nom donné au pasteur. Comme la figure tutélaire du père, le pasteur fait paître son troupeau, le guide dans les vallées, toujours semées d’embûches. Le pasteur Pedro est donc leur papa. «Amen pasteur, amen papa», lance à maintes reprises une fidèle, comme si elle dialoguait avec lui, sans barrière ni retenue.
Lieu de culte de l'église Charisma. Nadéra Bouazza
«Pour moi, le pasteur c’est comme un chef d’Etat auquel on doit faire confiance. Pour preuve, c’est grâce à lui que l’Eglise Charisma a autant de place pour nous accueillir», nous confie Essy, 24 ans, étudiante en commerce la semaine et mentor des jeunes recrues le week-end.
«Notre église, on l’a payé cash, au bout de longues années. Avant on était à Saint-Denis dans un bâtiment à deux niveaux. Lui aussi aurait pu s’effondrer», affirme la jeune femme, fière d’avoir enfin trouvé un lieu de prière à la hauteur de l’engouement que suscite le culte évangélique en France.
L'accident qui révèle la précarité des lieux de culte
Le 8 avril 2012, l’effondrement d’un plancher dans un lieu de culte évangélique haïtien à Stains (Seine-Saint-Denis) avait fait deux morts. Ce tragique accident révélait la précarité dans laquelle des milliers de croyants prient chaque dimanche, notamment en région parisienne. *
La prière du dimanche s’improvise souvent dans des entrepôts, des maisons individuelles ou des salles de réception transformées en lieu de culte le temps d’une messe. Ce qui fait le bonheur de certains loueurs qui n’hésitent pas à profiter de cette demande croissante de lieux de culte.
En dépit des prix du foncier dans la région d'Île-de-France (qui comprend Paris et ses alentours) et des difficultés à obtenir un permis de construire auprès des autorités locales, les 400 églises évangéliques que compte la région parisienne maintiennent bon an mal an leur activité.
Selon une étude du Conseil National des Evangéliques de France (CNEF), publiée en 2010, la concentration des églises évangéliques est plus forte en région francilienne. En 2010, la Seine-Saint-Denis comptait 106 églises. Au total, la communauté comptabilise environ 600 000 adeptes.
«En France, à qui on s’attaque?», demande le pasteur au parterre de fidèles. «Un pasteur a été mis en prison. Pourquoi? Un plancher s’est effondré. Mais qui a construit le plancher? Le pasteur était juste venu faire sa prière. Mais on a dit que c’était lui le coupable!», s’exclame-t-il avant d’ajouter:
«Mais combien de pasteurs sont allés dans les mairies pour demander un permis de construire? Les responsables sont les maires qui refusent de le délivrer. Un citoyen n’a-t-il pas le droit de vivre son culte?», assène-t-il.
Applaudissements dans la salle. Avant d’arriver à Charisma, de nombreux croyants ont fréquenté des salles exigües, cachées dans une cour ou dans un immeuble insalubre.
«Les responsables se disent qu’on va faire du bruit et qu’on pourrait déranger avec nos louanges. Pour cette raison, ils nous poussent à nous retrancher dans des zones industrielles, loin du centre ville et des habitations. Les maires n’arrivent pas à se défaire des stéréotypes qui courent à propos de la communauté évangélique», nous confie Julie, une étudiante en communication à l’Université Paris VIII qui anime la radio de l’église depuis un an.
«Chez nous, c’est plus simple que chez les catholiques»
Cette amertume, Essy la partage également. Elle a le sentiment que la communauté évangélique est défavorisée par rapport à la communauté musulmane, certes stigmatisée depuis plusieurs années, mais qui arrive cependant à se faire entendre auprès des acteurs politiques.
«Je remarque que certains sont aidés et d’autres non. J’habite Argenteuil (Val-d’Oise), une ville où l’Etat aide à construire des mosquées mais refuse de faire la même chose pour nous», soutient Essy, indignée «devant une telle inégalité dans une France qui se dit laïque.»
La communauté évangélique connait un boom depuis une soixantaine d’années. En 1970, le CNEF enregistrait 769 églises protestantes évangéliques en France métropolitaine. Quarante ans plus tard, elle en compte plus de 2000.
Comment expliquer un tel engouement? Tout d’abord le style plaît et fait des émules. La liturgie des églises catholiques est mise au placard. L’église, en tant qu’édifice historique chargé de symboles, ne pèse plus sur les âmes. Cette simplicité du décor plaît, surtout aux plus jeunes.
«Chez nous, c’est plus simple que chez les catholiques. Leurs prières sont prédéfinies, alors que le pasteur, lui, prêche des paroles proches de notre quotidien», ajoute Julie.
Chaque dimanche, l’Eglise réussit même à attirer de nouvelles recrues, qu’elle ne compte pas laisser filer. Le plus important, c’est qu’elles reviennent. Le prosélytisme est assumé. «En remplissant cette feuille, vous pourrez être informés de toutes les prochaines réunions ou activités», lit-on en tête du formulaire distribué aux nouveaux venus.
Arnaud l’a rempli il y a un an. Un choix qu’il ne regrette pas. Tous les dimanches, il suit l’office du pasteur puis retrouve ses amis à la cafétéria de la communauté. Il a le sentiment que son arrivée dans l’Eglise évangélique a mis de l’ordre dans sa vie.
«Avant j’étais catholique mais je ne pratiquais pas. Ici, on répond aussi bien à mes questions spirituelles qu’à celles de ma vie de tous les jours, car les paroles du pasteur trouvent un écho en moi», confie à voix basse Arnaud. L’Eglise m’a apporté une certaine stabilité», résume-t-il.
Un aveu d'échec de la société française?
Pour beaucoup, l’église évangélique offre un cadre social réconfortant. Des activités sont organisées le samedi après-midi pour les jeunes, tandis qu’une permanence accueille les fidèles ayant des difficultés, notamment financières. «L’église ne vit pas que le dimanche. Elle est proche de nous, au quotidien», précise Julie.
Chaque dimanche, le pasteur Pedro sait jouer des sentiments d’exclusion et d’indignation de son auditoire, quitte à les exacerber.
«Certains d’entre-vous fréquentent des écoles pour devenir de la chair à canon. D’autres accèdent à l’école des élites. Mais on essaiera toujours de vous faire croire que vous êtes des assistés», lance le pasteur devant une salle conquise.
«Le succès de ces Eglises évangéliques est l'un des marqueurs de la difficulté de la France à intégrer ses immigrés», déclarait à Slate.fr Sébastien Fath, chercheur au CNRS, sociologue spécialiste de ces nouveaux réseaux.
Africains, Français, Maghrébins et Chinois sont séduits par un discours qui épouse leur vision critique «d’une société française qui marginalise et stigmatise ses étrangers».
Article de Nadéra Bouazza, publié sur le site : www.slateafrique.com
19:36 Publié dans Réflexions théologiques | Commentaires (0) | Lien permanent
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