19/01/2012
Haïti, notre sœur
Deux ans après le terrible séisme qui l’a frappé le 12 janvier 2010, la journaliste Nathalie Leenhardt nous donne un aperçu de ce pays qui panse peu à peu ses plaies, non sans difficultés tant la misère reste énorme. Dans de nombreux domaines, les protestants sont à l’œuvre.
Remettre les pieds à Port-au-Prince à intervalles réguliers permet de mesurer le chemin accompli. En septembre 2010, aucun signe de reconstruction n’était vraiment visible mais la peur restait bien présente. En novembre 2011, l’air est plus léger. Les Haïtiens ont pu passer le cap du premier anniversaire, aucune secousse n’est venue rappeler l’horreur de ce 12 janvier 2010. Résultat : se projeter dans l’avenir semble à nouveau possible. D’autant que le pays dispose désormais d’un président de la République et d’un gouvernement. Michel Martelly, l’ex-chanteur de compass, a été élu en avril 2011. Difficile de qualifier le processus de réellement démocratique mais il n’est plus aujourd’hui contesté. Certes la participation électorale s’est avérée faible puisque seuls quelque 30 % des Haïtiens se sont déplacés pour voter. Il n’empêche : tous sont aujourd’hui soulagés et veulent donner du crédit à leur nouveau chef d’État. Comme le dit Gilberte, rencontrée au lendemain du séisme dans le restaurant où elle travaillait et qui est aujourd’hui au chômage : « On n’a pas d’autres choix que d’y croire. »
Lutter contre l’insécurité
Y croire. Penser qu’enfin le pays peut décoller, c’est aussi la conviction des nombreux protestants rencontrés, à commencer par le pasteur Clément Joseph, directeur de Misseh, la mission sociale des Églises d’Haïti : « Je crois que notre pays vit aujourd’hui une étape décisive de son histoire. C’est la saison, comme on dit ici, le momentum. En effet, la communauté internationale s’intéresse encore à nous, il faut la convaincre qu’Haïti peut bouger. Et pour cela avoir un gouvernement solide qui lutte contre la corruption et l’insécurité. » Une conviction que partage Sylvain Exantus, le président de la Fédération protestante d’Haïti (FPH) : « Nous sommes à un carrefour d’opportunités, ce n’est pas le moment pour les politiques de créer du conflit mais au contraire de mettre en place un climat sécuritaire qui donne confiance aux amis d’Haïti. Et je crois que les Églises ont un rôle à jouer pour trouver une vision pour ce pays. » Lui se réjouit que la FPH devienne progressivement un acteur incontournable de la société haïtienne, vers laquelle les politiques se tournent en cas de crises, comme ce fut le cas récemment, à travers les initiatives de Religions pour la paix (voir Réforme no 3445).
Conforter la FPH dans son assise institutionnelle, tant comme représentant du monde protestant auprès des pouvoirs publics qu’à l’interne, est au cœur du soutien de la FPF depuis 2008. Aujourd’hui, la structure fonctionne. « L’assemblée générale du printemps dernier a été une réussite puisque près de 400 Églises avaient envoyé un délégué à Port-au-Prince », commente le pasteur Fritz Romulus, secrétaire général de la FPH. Pourtant si aujourd’hui une bonne majorité des Églises protestantes disent appartenir à la FPH, bien peu lui versent une cotisation. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes. Claude Baty, le président de la FPF, est très ferme sur ce point : « Aujourd’hui, nous sommes les seuls à soutenir financièrement le fonctionnement institutionnel de la FPH. Cette situation ne pourra perdurer. Il faut que la FPH convainc ses partenaires de cotiser. De notre côté, nous avons sollicité les Églises sœurs en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, au niveau mondial réformé, sans recevoir pour l’instant de réponses. Nous ne pouvons rester seuls sur ce volet institutionnel sous peine d’épuisement d’une part et, d’autre part, nous souhaitons financer davantage de projets. »
Ceux-ci ne manquent pas en effet. Outre un soutien accentué aux orphelinats, confrontés à des situations d’urgence, la FPH a mis en place différentes actions, financées par les fonds reccueillis par la Fondation du protestantisme. Ainsi, en 2011, quelque 128 000 euros ont permis de reconstruire des abris provisoires dans des établissements scolaires. L’école évangélique Bellevue Salem, par exemple, avait été fortement endommagée par le séisme. Lors de notre précédent reportage, en septembre 2010, les gravats étaient toujours là. Depuis, le terrain a été dégagé et, dès janvier, la construction d’un nouveau bâtiment avec 14 salles de classe, des bureaux, des sanitaires doit démarrer, entièrement financée par l’ONG américaine Compassion. À leur mesure, les protestants français sont aussi présents. Les 8 000 euros recueillis lors d’une soirée organisée par l’association œcuménique Étoile-Champs Élysées en novembre 2010 ont permis de financer une citerne, bientôt reliée à un réservoir et une pompe, offerte par une donatrice du sud de la France. Ainsi les 750 élèves de l’école pourront-ils enfin avoir accès à l’eau potable. « Mais ils nous faudra protéger les cinq robinets avec des grilles fermées à clé », commente Jean-Salnave Eliacin, le directeur. Sinon, tout le quartier viendra s’approvisionner, vidant en un clin d’œil la citerne...
Se construire un avenir
Parmi les autres projets figure l’attribution de bourses. Les unes, dites partielles, ont été données à des étudiants qui avaient dû interrompre leur cursus du fait du séisme. Rose Natasha Avril a pu finir sa quatrième année de sciences informatiques : « Grâce à la bourse, j’ai pu payer l’obligation (droits d’inscription), les frais de scolarité, les transports et même un peu de nourriture. Je me lève à 4 heures du matin pour être en cours à 7 heures... » Comme elle, 32 étudiants ont pu reprendre le chemin des universités. Des bourses de formation professionnelle sont également attribuées à des jeunes d’orphelinats, pour leur permettre de réaliser leur rêve d’avenir. Manoushka, qui vit avec madame Lucienne, au cœur du bidonville de Cité-Soleil, a démarré des études d’auxilaire de vie et se partage entre le collège, où elle finit l’équivalent d’une troisième, et sa formation. Des journées de 12 heures...
Aider des jeunes à préparer leur avenir et travailler en Haïti est plus que jamais une priorité, dans un pays qui connaît le plus fort taux mondial de fuite des cerveaux. La création de formations professionnalisantes courtes est l’une des réformes que Religions pour la paix, qui se veut aussi une plate-forme de réflexions et de propositions, souhaite voir se concrétiser. « Dans un pays pauvre comme le nôtre, explique le pasteur Sylvain Exantus, il faut former les jeunes à des métiers intermédiaires. C’est en outre le seul moyen de lutter contre les gangs, qui attirent les forces vives et font des ravages. » La sécurité, le mot revient sans cesse dans les propos des uns et des autres, tant la violence reste ancrée...
Elle est notamment trop souvent présente dans la relation à l’enfant. « Il existe toujours une très forte discrimination à l’encontre des plus petits, commente Clément Joseph. La plate-forme Religions pour la paix s’est fixée comme combat de faire évoluer les mentalités et le droit. Aujourd’hui, il existe plusieurs statuts : les enfants légitimes, les illégitimes nés avant le mariage, les naturels, fruits d’un concubinage, et les adultérins. La loi ne donne pas la possibilité aux hommes de reconnaître un enfant adultérin. Résultat : trop de mères élèvent seules leurs enfants dans la pauvreté ou les abandonnent. » Le pasteur pense que les Églises ont un rôle capital à jouer pour que les femmes cessent d’être perçues « comme des objets de jouissance sexuelle que l’on peut jeter comme une voiture pas assez confortable ». D’où les rencontres qu’il organise, en partenariat avec la FPH, pour parler de femmes dans la Bible. « Les pasteurs doivent évoluer, les hommes doivent évoluer sinon il y aura encore trop d’enfants abandonnés dans les rues et les orphelinats. Imaginez qu’on compte 500 000 restavec dans ce pays. » Restavec, ces petits esclaves du XXIe siècle...
Nathalie Leenhardt pour le journal Réforme, tiré du site www.reforme.net
08:55 Publié dans Mosaïc Marseille | Commentaires (0) | Lien permanent
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